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9 janvier 2020 4 09 /01 /janvier /2020 20:52

Mon corps m’emmerde. Il n’est pas comme je voudrais. Il ne fonctionne pas comme je voudrais. Et il y a de fortes chances que si un jour, un génie me propose 3 vœux, il y en ait au moins un qui concerne mon corps. Je n'ai rien de grave, je me considère globalement comme une personne en bonne santé. Et pourtant, mon corps m'emmerde. Mon corps m’a tenue alitée pendant 7 mois à cause d’une tendinite mal soignée. Il a fallu l’intervention de 7 soignants pour décider de ce que j’avais et comment le soigner. Mon corps m’emmerde. Il me fait saigner tous les mois, dans le meilleur des cas, mais plus souvent tous les 15 jours, 3 semaines, et rajoute avec ça le package crampes abdominales, maux de tête, vertiges, nausées. Mon corps m’emmerde. J’ai les dents en carton-pâte. Une carie ? Trop facile. « La caverne d’Ali Baba » a déclaré ma dentiste une fois. Pour son portefeuille, je n’en doute pas. Pour le mien, c’est moins flagrant. Mon corps m’emmerde. Si j’ai le malheur de ne pas faire assez d’un sport, ou trop d’un autre, mon dos déraille. Mon corps m’emmerde. J’ai hérité du gène familial des migraines ophtalmiques, qui te bousillent des journées en te clouant au lit, dans le noir, en silence, en ayant la délicate impression qu’un sadique essaye de t’enfoncer un crayon dans l’œil.

Alors oui, bordel, mon corps m’emmerde sérieusement.

Mon corps est gros aussi. Parce que dès qu’il est un tout petit peu sorti de la norme, on l’a mis au régime et qu’il n’a pas compris, donc il a stocké. Et comme je ne l’ai pas écouté, j’ai recommencé, maigrir, reprendre encore plus, remaigrir, reprendre encore plus. Et tous les jours, d’une manière ou d’une autre, le monde dans lequel je vis me rappelle que je suis grosse. Ça pourrait être une caractéristique banale, globalement, ça l’est d’ailleurs. Je suis brune, je mesure 1m63, je suis grosse. Mais ma taille ne m’a jamais été reprochée. Jamais en allant chez le coiffeur, on ne m’a répondu qu’on ne faisait pas les brunes. Mais combien de fois a-t-on sous-entendu que j’étais responsable de mon poids, que si je faisais attention, je ne serais pas si grosse ? Combien de fois m’a-t-on répondu qu’on ne « fait pas les grandes tailles » dans ce magasin où j’adorais m’acheter des fringues, avant ? Je veux faire du shopping ? Je dois aller dans un magasin pour grosses. Je veux faire du yoga ? Je dois chercher comment adapter les postures à mon poids. J’ai mal au pied ? C’est probablement à cause de mon poids. Ou pas. Mes pieds supportent mon poids depuis des années maintenant, vous croyez vraiment qu’ils auraient pu se déshabituer ?

Alors mon corps m’emmerde. Et la façon dont le monde le regarde m’emmerde aussi.

Du coup, ma tête a longtemps ignoré mon corps. Parce que ma tête, elle, fonctionne bien, et qu’elle avait un peu tendance à trouver que mon corps était un boulet qui la freinait. Ma tête a ignoré les sensations de faim et de satiété que mon corps lui envoyait, comme ça, on mange à heures fixes, et on s’en fout de savoir si le corps a faim ou pas. Ma tête a ignoré la douleur au pied, c’est plus pratique, on peut continuer toutes ses activités. Jusqu’à ce que cette douleur fasse trop de bruit pour être ignorée. Ma tête a appris à s’adapter aux limitations de mon corps. Faire du sport est compliqué ? N’en faisons pas. Ne pas faire de sport me fait mal au dos ? Ignorons la douleur. Elle en était arrivée au point qu’elle trouvait ça normal d’avoir mal en faisant certains gestes anodins.

Ma tête et mon corps ont longtemps fonctionné comme deux ennemis jurés, contraints de vivre dans le même espace donc se tolérant l’un l’autre, mais s’évitant le plus souvent.

Cet espace commun, c’est moi. Et un jour j’ai compris que faire fonctionner ma tête et mon corps totalement indépendamment l’un de l’autre, ça ne pouvait plus trop fonctionner. Depuis, j’essaye de les faire communiquer. Parfois ça ne fonctionne pas trop mal. Ma tête a appris par exemple à reconnaître quand mon corps a faim, et à ne manger que quand il réclame, pas seulement parce qu’elle sait que c’est l’heure de manger. Parfois, c’est plus compliqué. Ils ont tellement appris à s’ignorer … Imaginez essayer de réconcilier des ennemis de 30 ans … Ça va forcément prendre du temps.

C’est le chemin sur lequel j’ai choisi de m’engager. En prenant soin de ma santé physique, et aussi en réfléchissant à mon fonctionnement psychique. En apprenant à m’écouter, en essayant de moins me détester.

Un jour j’ai lu quelque part une métaphore qui m’a plu : Ton corps, c’est le véhicule qu’on t’a attribué pour faire un beau voyage. Tu ne peux pas en changer, il est là pour tout le voyage. Tu peux passer tout ton voyage à grogner qu’il n’est pas assez ceci, ou trop cela. Ou alors, tu peux te dire qu’il est comme il est, et prendre le temps d’admirer le paysage.

Il y a encore pas mal de pannes qui m’empêchent de profiter du paysage, mais j’ai bon espoir, la route est encore longue.

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commentaires

V
Très bel article dans lequel je me suis énormément retrouvée, jusque dans certains petits détails (cc le gang des dents en carton pâte alors que c’était ma fierté d’avoir des dents qui ont poussé parfaitement droites :(). ????????
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L
Très bel article. Il me rappelle un TEDx vu il y a qques temps: https://www.youtube.com/watch?v=LZznHRr9ebY :)
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C
Décidément, deux articles coup sur coup qui résonnent très fort :-) Plein de courage à toi !
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