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17 novembre 2023 5 17 /11 /novembre /2023 21:23

 

16 novembre 2020 : 7h.

Je devrais être sortie du lit depuis un moment. Je n'ai quasiment pas dormi. Malgré la codéine, la douleur ne m'a pas lâchée. D'ailleurs, moins de 4h après la dernière dose, je la sens qui remonte déjà. 

Je pense au boulot. Les enfants m'attendent. Les petits de CE1 dont l'apprentissage de la lecture a été interrompu par le confinement, puis des grandes sections en atelier de langage, ... Ça me motive, je me lève.

La douleur augmente debout. Merde. Ça m’arrange pas trop. Je file à la douche mais je suis arrêtée en route. Un coup de poignard vient de me transpercer l’utérus. Je m’assois par terre en larmes. A bout de souffle tellement j’ai mal. Incapable du moindre mouvement. J’attends que ça passe. Les coups de poignard finissent par se calmer après un temps qui me semble infini. 30 minutes d’enfer. Péniblement, je me relève. Je m’appuie sur le mur, me traîne jusqu'au lit. Je m’effondre.

Un SMS à l’école “je vais arriver en retard, j’ai été malade toute la nuit”.

Je reprends 2 gélules de codoliprane. Et je prie pour que ça agisse vite. Je suis sonnée, assommée par la violence de la douleur. Allongée c'est supportable au moins. J’attends, immobile, en hyper vigilance, comme si le moindre mouvement pouvait réveiller ce monstre de douleur. J’ai peur. Dans ma tête je compte, si dans 1h ça va mieux, j’ai le temps d’être à l’école pour la récré du matin.


 

9h. Allongée, je n’ai plus trop mal. J’arrive à me lever, le temps de prendre une douche et d’attraper un paquet de gâteaux, je m’assois dans la voiture. Direction l’école. 40 minutes de route. 

Le poignard est tout près, juste là sous ma peau. Je le sens qui tente de percer mon bouclier codéiné. Il me fait peur. Au fond de moi, j’ai envie d’y croire. Pour mes élèves, pour mes collègues. Pour moi surtout. Je veux croire que c’est possible d’aller au bout de cette journée. Juste celle-ci. Ca ira mieux demain.

 

11h. Elle lit, péniblement, J’use de toute ma patience, “Tu te souviens ? Oi, oi, oi, …” Elle enchaîne, souriante, confiante : “c’est le roi !” “Oui, voilà, alors, reprends ici” “Le chhhhhhat boit de l’euuuuuu … le chat boit de l’eau ! Ca veut dire qu’il a bu de l’eau !” C’est laborieux, mais son après son, elle parvient à mettre du sens, à déchiffrer, à lire.

Moi je regarde mon téléphone. J’ai oublié de mettre ma montre en partant.Je compte les minutes qui me séparent de la fin de la séance, mais surtout, celles qui me séparent d’une nouvelle dose d’antalgiques. Il est à peine 11h30. Je clos la séance, félicite ma petite élève. Comme ça m’arrive parfois, je ne la raccompagne pas dans sa classe. “Tu vas retourner en classe OK ?” “Euh oui, mais je peux dire à la maîtresse que tu as dit que j’ai bien travaillé ?” “Toi, tu trouves que tu as bien travaillé ?” Elle hésite encore un tout petit peu, mais tellement moins qu’au début des séances. “Bah quand même hein, j’ai tout lu les phrases !” “Je suis d’accord avec toi ! Tu peux être fière de ton travail.” Elle sourit, je vois la fierté dans son regard, ça me fait du bien. Elle se tourne pour repartir dans sa classe. S’interrompt. “Tu seras là jeudi ?” “J’espère bien oui.” “Tu as encore mal au ventre ?” Elle a tout vu. Tout lu. Même ce que je n’ai pas dit. Même ce que j’ai tenté de cacher. La main sur le bas de mon ventre. Les quelques grimaces impossibles à réprimer. Tout. “Oui, mais je vais prendre des médicaments, ça va aller mieux” Elle hoche la tête. Rassurée. Et repart vers sa classe.

 

Il est là, dans mon ventre. Le poignard qui détruit tout. J’ai mal. Enfin non. Mal, c’est la douleur que je connaissais avant. Là, c’est au-delà, indicible. Je m’adosse contre le mur, assise par terre, les genoux remontés contre mon ventre. Je sens les courants d’air et toute l’humidité qui remonte du sol du vieux préfabriqué où je travaille. Je grelotte. Je sanglote aussi. Ca ne va pas le faire. J’attends un peu que la douleur descende. L’école est silencieuse. Dans quelques minutes, les enfants sortiront déjeuner, les parents sont déjà là, derrière le portail. C’est comme si le monde autour de moi tournait sans moi, comme si mon monde à moi se limitait à mon ventre. Et à ce poignard.

La vague passe un peu. On redescend juste en dessous de la limite de l’insupportable. Je me redresse, je ramasse mes affaires. J’ai tellement mal. On frappe. C’est ma directrice. Le préfabriqué est aussi l’endroit où l’équipe déjeune. Regard inquiet. “Ca va ?”  “C’est compliqué.” “Il se passe quoi ?” “Endométriose. Enfin, je crois. J’ai jamais mal comme ça” “Tu rentres chez toi ?” Grimace. “J’imagine que oui.” “Tu vas pouvoir conduire ?” “Il va bien falloir”

J’attrape mon sac, mon manteau. Je me dirige vers la porte. En chemin, je me rassois. Pliée en deux par la douleur. Je tente de faire bonne figure devant les collègues qui arrivent toutes avec leur panier repas. Je respire le plus profondément possible. Les larmes sont juste là. J’attends encore, puis me relève. C’est un calvaire. Ma voiture est juste derrière. Après un “bonne journée” et quelques “bon courage”. Je m’assois au volant. Je démarre. Je fais 100m. Et je m’effondre en larmes. Un SMS à mon chéri. Un autre à l’école où je devais aller l’après midi. 1h de route entrecoupée de larmes de douleur, de déception, de frustration. Je pense aux projets lancés avec mes élèves. 

Ils ne verront jamais le jour. Je rentre chez moi. Je m’effondre sur le lit. Reprends un antalgique. Envoie un mail pour avoir un rdv avec ma généraliste. Et je pleure. Je pleure.

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