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17 novembre 2023 5 17 /11 /novembre /2023 21:23

 

16 novembre 2020 : 7h.

Je devrais être sortie du lit depuis un moment. Je n'ai quasiment pas dormi. Malgré la codéine, la douleur ne m'a pas lâchée. D'ailleurs, moins de 4h après la dernière dose, je la sens qui remonte déjà. 

Je pense au boulot. Les enfants m'attendent. Les petits de CE1 dont l'apprentissage de la lecture a été interrompu par le confinement, puis des grandes sections en atelier de langage, ... Ça me motive, je me lève.

La douleur augmente debout. Merde. Ça m’arrange pas trop. Je file à la douche mais je suis arrêtée en route. Un coup de poignard vient de me transpercer l’utérus. Je m’assois par terre en larmes. A bout de souffle tellement j’ai mal. Incapable du moindre mouvement. J’attends que ça passe. Les coups de poignard finissent par se calmer après un temps qui me semble infini. 30 minutes d’enfer. Péniblement, je me relève. Je m’appuie sur le mur, me traîne jusqu'au lit. Je m’effondre.

Un SMS à l’école “je vais arriver en retard, j’ai été malade toute la nuit”.

Je reprends 2 gélules de codoliprane. Et je prie pour que ça agisse vite. Je suis sonnée, assommée par la violence de la douleur. Allongée c'est supportable au moins. J’attends, immobile, en hyper vigilance, comme si le moindre mouvement pouvait réveiller ce monstre de douleur. J’ai peur. Dans ma tête je compte, si dans 1h ça va mieux, j’ai le temps d’être à l’école pour la récré du matin.


 

9h. Allongée, je n’ai plus trop mal. J’arrive à me lever, le temps de prendre une douche et d’attraper un paquet de gâteaux, je m’assois dans la voiture. Direction l’école. 40 minutes de route. 

Le poignard est tout près, juste là sous ma peau. Je le sens qui tente de percer mon bouclier codéiné. Il me fait peur. Au fond de moi, j’ai envie d’y croire. Pour mes élèves, pour mes collègues. Pour moi surtout. Je veux croire que c’est possible d’aller au bout de cette journée. Juste celle-ci. Ca ira mieux demain.

 

11h. Elle lit, péniblement, J’use de toute ma patience, “Tu te souviens ? Oi, oi, oi, …” Elle enchaîne, souriante, confiante : “c’est le roi !” “Oui, voilà, alors, reprends ici” “Le chhhhhhat boit de l’euuuuuu … le chat boit de l’eau ! Ca veut dire qu’il a bu de l’eau !” C’est laborieux, mais son après son, elle parvient à mettre du sens, à déchiffrer, à lire.

Moi je regarde mon téléphone. J’ai oublié de mettre ma montre en partant.Je compte les minutes qui me séparent de la fin de la séance, mais surtout, celles qui me séparent d’une nouvelle dose d’antalgiques. Il est à peine 11h30. Je clos la séance, félicite ma petite élève. Comme ça m’arrive parfois, je ne la raccompagne pas dans sa classe. “Tu vas retourner en classe OK ?” “Euh oui, mais je peux dire à la maîtresse que tu as dit que j’ai bien travaillé ?” “Toi, tu trouves que tu as bien travaillé ?” Elle hésite encore un tout petit peu, mais tellement moins qu’au début des séances. “Bah quand même hein, j’ai tout lu les phrases !” “Je suis d’accord avec toi ! Tu peux être fière de ton travail.” Elle sourit, je vois la fierté dans son regard, ça me fait du bien. Elle se tourne pour repartir dans sa classe. S’interrompt. “Tu seras là jeudi ?” “J’espère bien oui.” “Tu as encore mal au ventre ?” Elle a tout vu. Tout lu. Même ce que je n’ai pas dit. Même ce que j’ai tenté de cacher. La main sur le bas de mon ventre. Les quelques grimaces impossibles à réprimer. Tout. “Oui, mais je vais prendre des médicaments, ça va aller mieux” Elle hoche la tête. Rassurée. Et repart vers sa classe.

 

Il est là, dans mon ventre. Le poignard qui détruit tout. J’ai mal. Enfin non. Mal, c’est la douleur que je connaissais avant. Là, c’est au-delà, indicible. Je m’adosse contre le mur, assise par terre, les genoux remontés contre mon ventre. Je sens les courants d’air et toute l’humidité qui remonte du sol du vieux préfabriqué où je travaille. Je grelotte. Je sanglote aussi. Ca ne va pas le faire. J’attends un peu que la douleur descende. L’école est silencieuse. Dans quelques minutes, les enfants sortiront déjeuner, les parents sont déjà là, derrière le portail. C’est comme si le monde autour de moi tournait sans moi, comme si mon monde à moi se limitait à mon ventre. Et à ce poignard.

La vague passe un peu. On redescend juste en dessous de la limite de l’insupportable. Je me redresse, je ramasse mes affaires. J’ai tellement mal. On frappe. C’est ma directrice. Le préfabriqué est aussi l’endroit où l’équipe déjeune. Regard inquiet. “Ca va ?”  “C’est compliqué.” “Il se passe quoi ?” “Endométriose. Enfin, je crois. J’ai jamais mal comme ça” “Tu rentres chez toi ?” Grimace. “J’imagine que oui.” “Tu vas pouvoir conduire ?” “Il va bien falloir”

J’attrape mon sac, mon manteau. Je me dirige vers la porte. En chemin, je me rassois. Pliée en deux par la douleur. Je tente de faire bonne figure devant les collègues qui arrivent toutes avec leur panier repas. Je respire le plus profondément possible. Les larmes sont juste là. J’attends encore, puis me relève. C’est un calvaire. Ma voiture est juste derrière. Après un “bonne journée” et quelques “bon courage”. Je m’assois au volant. Je démarre. Je fais 100m. Et je m’effondre en larmes. Un SMS à mon chéri. Un autre à l’école où je devais aller l’après midi. 1h de route entrecoupée de larmes de douleur, de déception, de frustration. Je pense aux projets lancés avec mes élèves. 

Ils ne verront jamais le jour. Je rentre chez moi. Je m’effondre sur le lit. Reprends un antalgique. Envoie un mail pour avoir un rdv avec ma généraliste. Et je pleure. Je pleure.

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29 juin 2020 1 29 /06 /juin /2020 17:40

Aujourd'hui, Gilbert et Gilbert ont découvert un squelette de bébé dinosaure dans la cour de l'école. Ils vont devenir milliardaires, vont gagner 20 000€, la télé va venir filmer leur découverte et ils seront connus.

 

Tout a commencé à la récréation ce matin. Ils s'ennuyaient, Gilbert s'est assis à côté du préau, et son regard est tombé sur un caillou dépassant de la terre. Il a pris un petit caillou, et a commencé à creuser pour dégager le gros caillou. Gilbert l'a rejoint, et bientôt, ils s'exclamaient sur l'importance de leur découverte paléontologique. "Un dinosaure ! C'est incroyable Maîtresse, t'as vu ! Regarde là, c'est son oeil, et là sa bouche, sa patte, et là sa queue !"

J'étais un peu dubitative, j'avoue. "Non mais un dinosaure mort hein Maîtresse !" Me voici rassurée ! J'ai dit qu'une telle découverte devait être validée par des scientifiques.

Alors ils ont continué à creuser. Ils sont tombés sur un morceau de coquillage, et ont tout de suite déclaré que c'était la coquille d’œuf de ce bébé dinosaure.

En rentrant en classe, c'était l'euphorie ! "On va devenir CONNUS !" - "Ouais, on sera des milliardaires !" - "On va au moins gagner 20 000€ !" - "On donnera de l'argent à l'école, et le directeur sera toujours gentil avec nous après !" - "La télé va venir filmer notre découverte !"

 

En début d'après-midi, après avoir creusé toute leur pause déjeuner, je leur ai montré un "C'est pas sorcier" sur les dinosaures. On y voyait des chantiers de fouille, et Gilbert et Gilbert s'en sont inspirés pour les leurs. On y apprenait que la plupart des dinosaures avaient été retrouvés dans le sud de la France. Et que le T-Rex vivait dans ce qui est maintenant l'Amérique du Nord. Mais Gilbert et Gilbert ne se laissent pas arrêter par ça. Ils ont trouvé un bébé T-Rex, c'est SÛR !

J'ai dit "Mais, ils ont quand même dit que le T-Rex vivait en Amérique !" Réponse du tac au tac : "C'est parce qu'ils n'ont pas encore cherché dans la cour de notre école !"

 

Devant une telle certitude, et une telle découverte, j'ai laissé Gilbert et Gilbert poursuivre leurs fouilles. Ils ont fait un croquis de leur découverte, et établi un plan pour sortir le dinosaure de terre sans le casser.

 

Et dire que si une pandémie n'avaient pas réuni ces deux élèves, prioritaires de par le métier de leurs parents, on aurait probablement jamais découvert la présence d'un T-Rex dans une cour d'école française ...

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25 juin 2020 4 25 /06 /juin /2020 21:04

En avril, quand on était tout près de rouvrir les écoles, ma directrice m'a dit "C'est la galère, l'AESH de Gilberte ne revient pas. Ses enfants ne sont pas prioritaires."

Gilberte, c'est la fille de ma collègue de CP. Une gamine adorable. Avec un trouble autistique très envahissant. Gilberte a 9 ans, elle ne parle pas, elle fait des gros câlins à tout le monde, et semble très heureuse à l'école. Ne nous voilons pas la face, le handicap de Gilberte est lourd. Et la pénalise beaucoup dans les apprentissages. En classe, sans une personne directement avec elle, à lui tenir la main, à guider chacun de ses gestes, à capter son attention, Gilberte serait un électron libre. Avec la patience de son accompagnante, elle peut travailler pendant 2h, parfois plus, sur des apprentissages adaptés, au milieu de sa classe de CE. Gilberte a un besoin essentiel de son aide. Pas d'aide, pas d'école. Et ça, c'est triste. Et en plus, comme sa maman est notre collègue, si Gilberte ne vient pas à l'école, sa maman non plus. D'où la galère.

Alors quand ma directrice m'a dit ça, j'ai dit "Ben sinon, je peux m'occuper de Gilberte le jour où je suis à l'école ?" Un peu parce que sa maman est ma collègue. Beaucoup parce que ça me révolte et me met vraiment en colère quand on refuse l'école à un enfant parce qu'il est handicapé.

Ma collègue a dit "t'es sûre ?"

Ma directrice a dit "t'es sûre ?"

 

Et moi j'ai dit "Bah oui !"

 

Après 2 mois de confinement, le retour à l'école de Gilberte a été compliqué. Imaginez un peu, 2 mois à la maison avec ses parents, tranquille pépère, peu de contact avec l'extérieur qui est si compliqué à gérer pour elle. Et puis le retour à l'école, plein de monde, mais plus tous les copains, on l'aide à se laver les mains en arrivant, les maîtresses ont un masque, et en plus, pas son aide chérie.

Parfois, on a réussi à travailler, 15-20 minutes, et puis c'en était trop pour elle, trop de nouveautés, trop de choses bizarres. C'était dur. Après, il fallait lutter. Attention Gilberte, ne monte pas sur ta table, tu vas te faire mal, allez, viens, descend, non, ne mange pas ton feutre, non, tu n'as pas le droit d'enlever mon masque ... J'ai lutté, avec elle, pour qu'elle soit le mieux possible. Parce que c'est son droit.

Et puis enfin, lundi, les enfants de son aide ont pu retourner à l'école, et son aide a pu revenir. J'aurais aimé pouvoir vous décrire le regard de Gilberte quand elle a vu son aide. Mélange de bonheur, d'admiration, de soulagement, d'amour. Les retrouvailles qu'il aurait fallu faire il y a 1 mois.

Depuis le retour de son aide, Gilberte travaille 2h30 sans tenter de se faire mal. Gilberte a retrouvé son plaisir de venir à l'école. Et c'est tellement chouette à voir !

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24 janvier 2020 5 24 /01 /janvier /2020 16:32

Gilbert a 8 ans. De jolis cheveux blonds, de grands yeux bruns, et un autisme qui le freine un peu dans ses apprentissages. Gilbert ne parle pas. Ou presque pas. Il dit quelques mots, le minimum. Et communique par des gestes. Ca fonctionne bien, on se comprend.

Ca fait deux ans que je travaille avec lui. L’an dernier, on a travaillé la lecture, et maintenant, il vient en aide spécialisée pour faire des maths.

J’aime beaucoup mes séances avec Gilbert. Surtout quand il arrive après mes CP si bruyants. On croirait que ma classe est soudain devenu un espace zen. Juste ma voix, que je baisse au maximum parce qu’il est très sensible aux bruits forts, et le bruit des crayons sur le tableau blanc. On entend les grands d’à côté, un peu, mais rien qui ne puisse nous perturber.

Je crois que Gilbert aussi aime ses séances avec moi. Il vient toujours avec le sourire, et quand je lui montre la fusée des émotions, il se place toujours le plus haut possible. Il ne montre jamais d’opposition à travailler, est toujours volontaire.

Il nous a fallu un peu de temps au début, pour apprendre à nous connaître. Je parlais trop fort et il fronçait les sourcils. Parfois, il était bloqué et ne disait rien, ou il mettait beaucoup de temps à répondre, et je lui proposais de l’aide, ce qui interrompait son raisonnement. Maintenant, c’est mieux, j’attends en silence, et quand il est bloqué, il me fait signe. Je parle bas, et Gilbert ne fronce plus les sourcils.

Gilbert progresse bien, sauf les jours où ça ne va pas trop, mais ils sont de plus en plus rares. On fait des calculs, sans ses doigts parce qu’ils se mélangent. J’utilise les cubes, c’est moi qui fais, parce que ses mains se mélangent trop. Il me dit combien j’en prends, me fait signe d’en ajouter ou d’en enlever, et compte le résultat. Et il progresse sacrément.

Et puis à la fin de la séance, Gilbert et moi, on a un petit rituel. On reprend les calculs qu’il connait par cœur. On essaye d’en faire le plus possible avant que le timer ne sonne pour dire que la séance est finie. Chacun son crayon, j’écris le calcul, il écrit la réponse, vite, très vite. Il est trop fort Gilbert à ce jeu. Et vite vite vite, il efface, et j’écris encore un autre calcul, vite, avant que ça ne soit la fin ! Et Plus on se rapproche de la fin, plus Gilbert va vite, plus il réclame de nouveaux calculs, chassant presque ma main pour écrire sa réponse.

Et soudain, il rit. Il rit de son rire si timide, mais il rit. Et c’est la plus belle chose qui m’arrive dans ma journée. C’est un soleil, le rire de Gilbert. Un cadeau dans ma journée. Un moment que j’attends avec impatience. Et quand la séance est terminée, Gilbert reprend ses affaires et retourne dans sa classe. Mais son rire résonne encore en moi longtemps. Merci Gilbert pour ce cadeau qui me fait tellement de bien !

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9 janvier 2020 4 09 /01 /janvier /2020 20:52

Mon corps m’emmerde. Il n’est pas comme je voudrais. Il ne fonctionne pas comme je voudrais. Et il y a de fortes chances que si un jour, un génie me propose 3 vœux, il y en ait au moins un qui concerne mon corps. Je n'ai rien de grave, je me considère globalement comme une personne en bonne santé. Et pourtant, mon corps m'emmerde. Mon corps m’a tenue alitée pendant 7 mois à cause d’une tendinite mal soignée. Il a fallu l’intervention de 7 soignants pour décider de ce que j’avais et comment le soigner. Mon corps m’emmerde. Il me fait saigner tous les mois, dans le meilleur des cas, mais plus souvent tous les 15 jours, 3 semaines, et rajoute avec ça le package crampes abdominales, maux de tête, vertiges, nausées. Mon corps m’emmerde. J’ai les dents en carton-pâte. Une carie ? Trop facile. « La caverne d’Ali Baba » a déclaré ma dentiste une fois. Pour son portefeuille, je n’en doute pas. Pour le mien, c’est moins flagrant. Mon corps m’emmerde. Si j’ai le malheur de ne pas faire assez d’un sport, ou trop d’un autre, mon dos déraille. Mon corps m’emmerde. J’ai hérité du gène familial des migraines ophtalmiques, qui te bousillent des journées en te clouant au lit, dans le noir, en silence, en ayant la délicate impression qu’un sadique essaye de t’enfoncer un crayon dans l’œil.

Alors oui, bordel, mon corps m’emmerde sérieusement.

Mon corps est gros aussi. Parce que dès qu’il est un tout petit peu sorti de la norme, on l’a mis au régime et qu’il n’a pas compris, donc il a stocké. Et comme je ne l’ai pas écouté, j’ai recommencé, maigrir, reprendre encore plus, remaigrir, reprendre encore plus. Et tous les jours, d’une manière ou d’une autre, le monde dans lequel je vis me rappelle que je suis grosse. Ça pourrait être une caractéristique banale, globalement, ça l’est d’ailleurs. Je suis brune, je mesure 1m63, je suis grosse. Mais ma taille ne m’a jamais été reprochée. Jamais en allant chez le coiffeur, on ne m’a répondu qu’on ne faisait pas les brunes. Mais combien de fois a-t-on sous-entendu que j’étais responsable de mon poids, que si je faisais attention, je ne serais pas si grosse ? Combien de fois m’a-t-on répondu qu’on ne « fait pas les grandes tailles » dans ce magasin où j’adorais m’acheter des fringues, avant ? Je veux faire du shopping ? Je dois aller dans un magasin pour grosses. Je veux faire du yoga ? Je dois chercher comment adapter les postures à mon poids. J’ai mal au pied ? C’est probablement à cause de mon poids. Ou pas. Mes pieds supportent mon poids depuis des années maintenant, vous croyez vraiment qu’ils auraient pu se déshabituer ?

Alors mon corps m’emmerde. Et la façon dont le monde le regarde m’emmerde aussi.

Du coup, ma tête a longtemps ignoré mon corps. Parce que ma tête, elle, fonctionne bien, et qu’elle avait un peu tendance à trouver que mon corps était un boulet qui la freinait. Ma tête a ignoré les sensations de faim et de satiété que mon corps lui envoyait, comme ça, on mange à heures fixes, et on s’en fout de savoir si le corps a faim ou pas. Ma tête a ignoré la douleur au pied, c’est plus pratique, on peut continuer toutes ses activités. Jusqu’à ce que cette douleur fasse trop de bruit pour être ignorée. Ma tête a appris à s’adapter aux limitations de mon corps. Faire du sport est compliqué ? N’en faisons pas. Ne pas faire de sport me fait mal au dos ? Ignorons la douleur. Elle en était arrivée au point qu’elle trouvait ça normal d’avoir mal en faisant certains gestes anodins.

Ma tête et mon corps ont longtemps fonctionné comme deux ennemis jurés, contraints de vivre dans le même espace donc se tolérant l’un l’autre, mais s’évitant le plus souvent.

Cet espace commun, c’est moi. Et un jour j’ai compris que faire fonctionner ma tête et mon corps totalement indépendamment l’un de l’autre, ça ne pouvait plus trop fonctionner. Depuis, j’essaye de les faire communiquer. Parfois ça ne fonctionne pas trop mal. Ma tête a appris par exemple à reconnaître quand mon corps a faim, et à ne manger que quand il réclame, pas seulement parce qu’elle sait que c’est l’heure de manger. Parfois, c’est plus compliqué. Ils ont tellement appris à s’ignorer … Imaginez essayer de réconcilier des ennemis de 30 ans … Ça va forcément prendre du temps.

C’est le chemin sur lequel j’ai choisi de m’engager. En prenant soin de ma santé physique, et aussi en réfléchissant à mon fonctionnement psychique. En apprenant à m’écouter, en essayant de moins me détester.

Un jour j’ai lu quelque part une métaphore qui m’a plu : Ton corps, c’est le véhicule qu’on t’a attribué pour faire un beau voyage. Tu ne peux pas en changer, il est là pour tout le voyage. Tu peux passer tout ton voyage à grogner qu’il n’est pas assez ceci, ou trop cela. Ou alors, tu peux te dire qu’il est comme il est, et prendre le temps d’admirer le paysage.

Il y a encore pas mal de pannes qui m’empêchent de profiter du paysage, mais j’ai bon espoir, la route est encore longue.

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5 janvier 2020 7 05 /01 /janvier /2020 09:27

Quand j’étais petite, en CP ou CE1, j’ai déclaré à mes parents que quand je serai grande, j’aurai 23 enfants, et je leur ferai la classe tous en même temps.

Et je pense qu’en fait, je n’en aurai aucun.

Je ne veux pas d’enfants.

La bascule entre 23 et 0 s’est faite assez rapidement. J’ai assez vite compris que 23, ça n’allait pas être jouable. Et que de toute façon, je ne pourrais pas avoir 23 enfants du même âge pour leur faire la classe. Alors je disais que j’en aurai un. C’est bien un. Il ne peut pas se disputer avec ses frères et sœurs.

Et puis, plus tard, j’ai découvert qu’on n’était pas obligé d’en faire. Qu’il y avait des adultes qui vivent sans enfants, qui sont heureux comme ça. Ça m’a un peu chamboulée. Je n’étais plus vraiment sûre d’en vouloir. Et puis je n’étais pas en couple, alors de toute façon, ça ne m’attirait pas plus que ça.

Et pourtant, j’adore les enfants. Je travaille avec des enfants, et j’adore ça. J’ai 3 nièces et un neveu que j’adore aussi. Je prends un plaisir infini à jouer avec eux, à leur faire des papouilles sur le ventre en les sortant du bain, à les voir grandir, apprendre, changer. J’adore ces moments de complicité entre eux et moi quand leurs parents me les confient, j’adore être la tata gaga qui couine devant les photos souriantes de bébés sans dents, ou devant celles toutes aussi édentées de la plus grande de mes nièces qui attend la petite souris.

J’ai été chamboulée dans ma conviction de ne pas vouloir d’enfants au moment de la naissance de la fille de mon frère. Je changeais de côté. Je devenais la seule sans enfants de ma famille. J’ai même cru en vouloir un moment parce que ça serait cool il ou elle aurait des cousins et cousines, on partagerait des choses avec mon frère et ma sœur. Et puis non. Cette naissance m’a chamboulée, et cette nièce qui habite tout près de chez moi tient une place particulière dans mon cœur. Probablement parce qu’elle est née juste au moment où je me prenais une très grosse claque professionnelle. Probablement parce qu’elle m’a aidée à ne pas sombrer dans le désespoir. Probablement parce que je la vois grandir tout près, et que ça change un peu les choses.

Mais le temps a passé, le choc de sa naissance est passé. Les questions se sont intensifiées. Est-ce que j’en veux ? Pourquoi ? Et Lui, est-ce qu’il en veut ? Est-ce qu’on serait deux dans ce projet ?

Et plus les questions se posaient, plus les réponses se faisaient précises. Je ne crois pas que j’en veux. Pour plein de raisons différentes. Lui n’en veut pas, il dit qu’il me soutiendra si c’est mon projet et mon désir. Mais l’est-ce vraiment ? Je ne crois pas.

 Ça me fait un peu peur d’assumer ma non parentalité. Socialement, j’arrive à un âge où les questions se font pressantes. Je suis en couple depuis un moment, alors quoi ? Quand est-ce qu’on va faire des enfants ?

Et si la réponse était "jamais" ? Et si ça ne faisait pas partie de nos projets ? Et si notre vie pouvait être tout aussi heureuse sans enfants ?

Je ne crois pas que je pourrais être heureuse avec un enfant. Je crois que le poids de la maternité serait trop lourd à porter pour moi. Je suis déjà bourrée d’angoisses sur la santé de mes proches, sur la mienne aussi, qu’en serait-il avec un petit bout dont j’aurais l’entière responsabilité ? Que je devrais mettre au monde ? Dont je devrais gérer l’éducation, la santé, le développement, la culture et plus tard les études ? Tout ceci me semble impossible. Je ne pourrai pas faire ça sans compromettre ma propre santé, physique mais surtout psychique. Et pourquoi mettre au monde un enfant ? Pour quoi faire ? Le monde dans lequel nous vivons est fou. On ne sait pas ce qu’il sera dans 10 ans, 20 ans. On a déjà trop de monde sur notre pauvre planète que nous exploitons jusqu’à la moelle au point de la mettre en danger. De nous mettre en danger.

Je ne suis pas quelqu’un de fondamentalement optimiste. Je n’ai pas assez d’espoir pour croire que les générations futures auront l’énergie et les ressources pour inverser le cours des choses. Je n’ai pas assez confiance pour me dire que mon éducation sur un petit être à naitre pourrait lui permettre de s’en sortir dans ce monde en perpétuel changement.

Je ne veux pas d’enfant parce que je n’en ai pas vraiment envie, et que ma vie, dans le monde d’aujourd’hui, ne me pousse pas dans ce sens. Je suis globalement heureuse dans ma vie. Je suis entourée d’enfants, que je vois grandir, pour lesquels je participe, à ma manière, à leur éducation. Je pense à mes nièces et mon neveu, je pense aussi, beaucoup, à tous les enfants qui me sont confiés à l’école. Je sais ce que c’est qu’accompagner la vie d’un enfant. Je sais les beaux moments, je sais la magie de ce lien entre la mère et son enfant. Je le vois autour de moi, et je l’ai vécu avec une mère aimante, qui s’est battue, elle, pour avoir des enfants, parce que c’était son désir profond, et celui de mon père. Je ne peux qu’imaginer la force du lien qui lie une mère à son enfant, mais je sais celui qui lie un enfant à sa mère. Et pourtant, je ne veux pas d’enfant.

On me dit souvent « mais tu n’as pas peur de regretter ? ». Bien sûr que j’ai peur de regretter. Mais j’ai autant peur de regretter de ne pas en avoir fait que de regretter d’en avoir un. Il me semble tout aussi difficile et définitif de choisir de faire un enfant que de choisir de ne pas en faire. Dans mon cas, la balance penche du côté du non.

J’espère pouvoir rester la tata présente, celle chez qui on vient en vacances, celle qui dépanne un week-end, une soirée, un mercredi, quand la nounou est malade ou quand les parents ont besoin d’une pause. J’espère que je ne regretterai pas mon choix. J’espère que je verrai grandir mes neveu et nièces et qu’ils n’oublieront pas leur vieille tante quand nos parents ne seront plus là pour réunir toute la famille autour d’eux. J’espère qu’on vivra encore des moments magiques en famille, avec eux, avec mon frère, avec ma sœur, avec leurs si beaux enfants, mes amours de nièces, mon amour de neveu.

J’espère.

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21 mai 2019 2 21 /05 /mai /2019 19:56

- Ben alors Gilbert, tu es en retard ce matin ?

- Bah oui, mon petit frère, il voulait pas prendre son petit déjeuner. Pourtant, j'avais bien fait chauffer son lait 30 secondes au micro-ondes, et mis 2 cuillers de chocolat comme il aime. Mais il voulait Maman ! Sauf que maman, ben elle est rentrée tard du bar hier, elle criait fort. Et ce matin, elle dormait encore alors j'ai aidé mon petit frère à s'habiller et à prendre son petit déjeuner, et puis on est venus tous les deux à l'école. Mais je ne sais pas lire l'heure moi, alors je suis un peu trop en retard.

 

Y'a des matins où tu aurais mieux fait de fermer ta gueule. Ou pas. Parce que cette famille a besoin d'aide je crois.

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18 avril 2019 4 18 /04 /avril /2019 12:40

Gilbert a 7 ans. Depuis sa petite section, il interroge beaucoup ses enseignants par son comportement. Il est agité, demande beaucoup de présence autour de lui, il est parfois très provocateur et peut se mettre en colère de façon assez violente. Il a appris à lire, mais l’écriture est un gros point de blocage pour lui. Je suis donc sollicitée par son enseignante de CP pour l’aider sur ce point. Avec Gilbert et un autre copain de sa classe, on a décidé d’écrire un livre. Parce que dans la vie, il faut avoir de l’ambition. C’est difficile, parce que Gilbert a beaucoup besoin de bouger, supporte assez mal que je sois occupée avec son copain, mais petit à petit, on trouve notre rythme. Gilbert écrit sur le tableau de ma classe, c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour qu’il accepte d’écrire. Et pour mettre au propre, c’est moi qui fais, pour éviter les colères de frustration.

Globalement, c’est dur en classe aussi, mais Gilbert progresse, et son enseignante a bien compris qu’il fallait le valoriser le plus souvent possible. Ensemble, nous décidons de faire le point avec les parents de Gilbert.

Un soir donc, Gilbert arrive avec son papa, il lui tient la main, mais semble inquiet. D’un sourire, j’essaye de le rassurer, nous ne sommes pas là pour le gronder. Nous nous installons, l’enseignante de Gilbert parle à son père des progrès dans le comportement de Gilbert, et puis me passe la parole. D’abord, je rappelle mon rôle, spécifiquement auprès des élèves qui rencontrent des difficultés en classe. Et comme je trouve ça un peu dommage que Gilbert ne dise rien, je le sollicite. « Alors Gilbert, tu as parlé de ce qu’on prépare en groupe avec tes parents ? ». C’est le papa de Gilbert qui répond « Non, on ne sait pas grand-chose de ce qu’il fait avec vous ».

Je reprends la parole, toujours en m’adressant à Gilbert « Et bien alors ? Tu sais que tu peux être fier de ce que tu fais, moi, je suis très contente de ton travail. Tu racontes à ta maîtresse et à papa ? » Gilbert s’enfonce sur sa chaise.

Je ne comprends pas. J’ai un enfant toujours très avenant en groupe, toujours ravi de me parler de lui, de ses copains, de la classe. Et en face de moi ce soir, il est mutique. Pire, quand son papa insiste pour qu’il raconte, Gilbert se recroqueville en remontant les genoux sur son torse. Plus son père le sollicite, plus il cherche à disparaitre. Je finis par raconter notre projet, dire que Gilbert fait beaucoup d’efforts, travaille bien, s’investit. Le papa de Gilbert le félicite. Gilbert est en chien de fusil sous la table. Refuse tout contact visuel avec nous.

Je suis sous le choc de ce que je vois. Quel est donc ce petit garçon que j’ai découvert ce soir ? Que se passe-t-il dans sa tête pour qu’il devienne fuyant à ce point ? Quelle est la relation entre ce père et son fils pour qu’une simple sollicitation tourne à l’affrontement entre eux ?

Le surlendemain, je retrouve Gilbert à l’école. Il vient me saluer sur la cour de récré, il est redevenu « normal », comme je l’avais toujours vu. Pourtant, mon regard à moi a changé. J’essaye de savoir un peu ce qui se passe à la maison, il me jette un regard noir, et change de sujet.

Je ne sais pas ce qui se passe chez Gilbert, mais une chose est sûre, je suis particulièrement vigilante aux signaux d’alerte qu’il pourrait m’envoyer.

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9 février 2019 6 09 /02 /février /2019 11:52

Sidonie a 7 ans. Elle travaille dur en classe, et dur à la maison. Cette année, elle est entrée en CE1 sans savoir lire. Non pas qu'elle n'a pas essayé, mais son retard de langage l'a empêché d'entrer dans la lecture.

Lucas a 6 ans, il est en CP. Il adore l'école, il adore ses copains, sa maîtresse. Tout le monde lui a dit "tu vas voir, le CP c'est génial, tu vas apprendre à lire. Mais Lucas il ne voit pas trop pourquoi il apprendrait à lire. A la maison, il y a ses parents, et à l'école ben c'est pas toujours intéressant.

Malika a 8 ans. Elle est en CE2. Elle sait lire, c'est facile, il faut faire chanter les lettres les unes après les autres. Mais ça n'a pas beaucoup d'intérêt, faire chanter les lettres les unes après les autres. Il parait que certains arrivent à entendre des mots. Pas Malika. Pour elle, ce ne sont que des lettres qu'elle fait chanter, comme un instrument de musique un peu déréglé.

Sidonie, Lucas et Malika m'ont été confiés par leurs enseignantes. "Tu vas voir, il/elle n'entre pas dans la lecture, je ne comprends pas pourquoi, j'ai essayé de l'aider, de simplifier les textes que je lui donne, mais j'ai l'impression qu'elle/il ne comprend pas du tout ce qu'il/elle lit. Je ne sais plus quoi faire !"

Sidonie m'a dit "tu sais Maîtresse, quand je saurai lire, je voudrai raconter des livres à mon petit frère. Il s'appelle Valentin, il est dans la classe des petits. Il adore les histoires." Alors on est allées chercher un livre dans la bibliothèque de l'école pour Valentin.

Lucas m'a dit "Tu sais Maîtresse, moi je ne sais pas à quoi ça sert de savoir lire". Alors on a joué à trouver toutes les situations où il fallait lire des choses. Celles quand on est un enfant, et même celles quand on est grand.

Malika m'a dit "Oh moi, ça va la lecture Maîtresse, mais pourquoi la maîtresse pose toujours plein de questions après ?". Alors on a cherché pourquoi. Et on a préparé plein de questions pour la maîtresse de Malika.

J'ai adapté le livre pour que Sidonie puisse le lire. Et pendant 3 mois, deux fois par semaine, Sidonie est venue dans ma classe enregistrer l'histoire pour Valentin. Ca a été dur. Parfois, Sidonie a été un peu découragée. "Tu te rends compte Maîtresse, il faut encore lire tout ça !"

Après plusieurs semaines de recherche, Lucas a trouvé. Lui, il veut apprendre à lire pour quand il sera un docteur. "Parce que pour donner les bon médicaments aux enfants il faut savoir lire. Imagine Maîtresse, si je lui donne un médicament au chou fleur au lieu d'un médicament à la fraise !" Et Lucas a éclaté de rire. Le rire de Lucas, c'est un peu comme si d'un coup, dans la classe, un rayon de soleil était entré et se reflétait partout. Ca éblouit et ça donne plein de jolies couleurs à une journée sombre.

Malika a travaillé dur pour écrire les questions. "Mais comment je sais comment ça s'écrit ce mot Maîtresse, ça change tout le temps !" Et après plusieurs semaines, elle est retournée en classe et a posé toutes ses questions aux copains, à la maîtresse. "Est-ce que tu aimes lire ? Pourquoi ? Qu'est-ce que tu aimes lire ? Où est-ce que tu aimes lire ?" Et même que Malika m'a demandé si elle pouvait demander à ses parents aussi. Et aux autres maîtresses. Et à son papi et sa mamie.

Petit à petit Sidonie a progressé. Elle mettait de moins en moins de temps à lire chaque phrase du livre pour Valentin. Et elle demandait à continuer. Elle s'est accrochée. Un jour, je lui ai montré "Tu vois Sidonie, il ne reste plus que 10 lignes et on aura terminé". Et j'ai vu les étoiles dans ses yeux. On a pris rendez-vous avec la maîtresse de la classe de Valentin. Et 15 jours plus tard, Sidonie présentait son livre à Valentin et tous ses copains.

Avec Lucas, on a joué à inventer des noms de médicaments et leur utilité. Un peu à la manière des chiffres et des lettres. Consonne ? P. Voyelle ? I. Consonne ? R. Voyelle ? A. Consonne ? C. Voyelle ? U. Consonne ? L. Voyelle ? E. "OK Lucas, ça fait quoi comme nom de médicament ?" "Pi-ra-cu-le PIRACULE ! Oh maitresse c'est trop drôle, on dirait un médicament qui soigne les pieds." Et Lucas a éclaté de rire.

Malika commence à comprendre. Lire, ce n'est pas seulement faire chanter les lettres, c'est prendre un train qui nous emmène en voyage. Maman a dit qu'elle adore lire des recettes de cuisine. Et Malika aimerait bien faire des gâteaux avec maman. Des gâteaux magiques multicolores. Papi a dit "Moi, j'ai besoin de lire pour construire des maisons de poupées pour mes petits enfants". Et Malika l'a aidé. La copine de Malika lui a raconté qu'elle adore les histoires de sorciers, et qu'après, elle les rejoue avec ses poupées. Malika aimerait bien jouer au Quidditch avec sa copine et leurs poupées.

Sidonie lit. Elle confond encore des sons, elle a encore besoin d'aide pour continuer à progresser. Mais ce qu'elle a réalisé, c'est déjà tellement beau, tellement fort. Et maintenant, elle sait qu'elle peut le faire. D'ailleurs, ses parents m'ont dit qu'elle leur demandait leur téléphone pour enregistrer une nouvelle histoire pour Valentin.

Lucas déchiffre maintenant la plupart des sons simples. Et les autres, il continue de les travailler en classe avec les autres CP. Il a compris comment ça marche. Il n'a plus besoin de moi, mais parfois, il vient me voir à la récré : "Maîtresse, tu veux du Piracule pour tes pieds ?"

Malika commence à comprendre ce qu'elle lit. Comme si maintenant, elle connaissait les formules des potions magiques. "Pi-ra-te ... Pi-ra-te ... Aaaaaaaah Pirate ! Comme un pirate qui fait des aventures ! Maîtresse, ça se dit comment pirate quand c'est une fille ?"

 

Malika, Sidonie, Lucas. Trois enfants en grande difficulté comme la plupart des enseignants spécialisés en croisent quotidiennement. Notre travail, c'est de les aider à prendre leur envol. Trouver la bonne plateforme de décollage, ou parfois même la construire avec eux, trouver ce qui va les motiver pour qu'ils arrivent à s'envoler. Et chaque fois, les premiers battements d'ailes ont un coté magique. Un peu comme un oiseau tout étonné de ne plus sentir le sol sous ses pieds.

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12 septembre 2018 3 12 /09 /septembre /2018 15:55

Je n’ai pas eu mon CAPPEI.

J’y ai pensé tout l’été, j’ai ruminé, essayé de comprendre. Mais il n’y a rien à comprendre. Juste accepter que je n’aie pas eu mon CAPPEI.

J’ai pourtant travaillé. Comme je n’ai jamais travaillé. J’ai lu des ouvrages, pris des notes. J’ai changé ma pratique professionnelle. J’ai observé mon tuteur faire, et essayé de l’imiter. J’ai sacrifié un peu de ma vie personnelle, beaucoup de ma vie sociale et environ toute ma sérénité. Mais je n’ai pas eu mon CAPPEI.

Quand les résultats sont tombés, j’ai pleuré. Je n’étais pas dans la liste des reçus. Première claque.

Quand les notes sont tombées, j’ai encore pleuré. J’avais tout à repasser. Aucune note positive. Deuxième claque.

Enfin, quand le rapport d’examen est tombé, j’ai pleuré. Rapport très cassant. Aucune bienveillance. Troisième claque.

Il m’a fallu 32 ans pour rater un examen. Et un échec après 32 ans de réussite scolaire, c’est plutôt violent.

J’avais pourtant tout fait pour y arriver. Mon tuteur était content de moi. Mon inspecteur, venu quelques mois plus tôt pour une simple inspection de routine, était content de moi. Mes formateurs étaient contents de moi. Ma hiérarchie était contente de moi. Je me sentais confiante. Si tout le monde y croyait, ça devait passer.

Quand j’ai échoué, ma hiérarchie n’y a pas cru. Mes proches n’y ont pas cru. Mes collègues n’y ont pas cru. Mes camarades de formation n’y ont pas cru. Et pourtant.

Quand j’ai eu mes notes, mes proches ont crié au scandale. Mes collègues ont cru à une erreur. Et pourtant.

Quand j’ai eu mon rapport d’examen, j’ai compris que l’objectif du jury n’était pas de me permettre de réussir. Juste de me casser. Pour le moment ils y sont bien arrivés.

Je n’ai pas eu mon CAPPEI parce que je suis trop jeune. Parce que je n’ai pas assez d’expérience. Parce qu’il fallait éliminer un grand nombre de candidats.

Moi, la bonne élève, la bosseuse. Celle que tout le monde voyait réussir. Et bien j’ai échoué.

Et c’est terriblement injuste. C’est comme ça, c’est la vie. Mais c’est dur.

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